Dans cet entretien du 8 janvier 1966, Frédérick Leboyer fait un point avec Swamiji sur les recherches et les essais qu’il pratique pour arriver à définir un nouveau cadre entourant la naissance. Cette approche est résolument différente des pratiques habituelles, parce qu’elle prend en compte le ressenti du nouveau-né. Dès 1962 Swamiji a expliqué à Frédérick le rôle que doit jouer le médecin quand il arrive auprès des patients, il doit être « comme un soleil » et à l’aise. Frédérick a pris ce conseil très à cœur. Il dit que dans le contact avec le nouveau-né il se sent comme en méditation.
De la rencontre de son expertise et de celle de Swamiji a émergé ce qui est devenu « la méthode Leboyer ».
Ce qui est proposé est une révolution des croyances, des perceptions et des pratiques. On imaginait jusqu’alors le nouveau-né dépourvu de sensibilité. On disait qu’il était comme un morceau de bois, au mieux un tube digestif. Cette révolution a rendu au nouveau-né sa dignité d’être humain à part entière.
Cet échange entre Frédérick et Swamiji a été traduit au chapitre 2 du livre d’entretiens intitulé « Un désir sincère d’absolu » publié aux éditions l‘originel-Accarias en 2022.
2024 marque le cinquantenaire de la « Naissance sans violence ». L’IPC organise une journée à ce sujet.
Autant tout ce qui est dit sur l’évolution et la révolution – et donc l’importance de créer une atmosphère qui permette au nouveau-né s’adapter progressivement – me semble convainquant et remarquablement précurseur pour l’époque, autant je reste réservé quant à l’idée que la douleur éprouvée par la mère contribue à renforcer son lien avec le bébé : cela peut être le cas mais cela peut aussi produire l’effet exactement l’inverse, où elle en veut à l’enfant d’avoir eu si mal. Ainsi, que conclure de l’exemple du couple qui a cessé toute relation sexuelle après un accouchement trop douloureux ??
Enfin la question de la présence du père me semble imprégnée des conditionnements sociaux et émotionnels de l’époque. Je ne suis pas convaincu par le fait que les arguments développés aient une valeur universelle et intemporelle mais que cela dépend beaucoup du contexte d’une culture, d’une société, à un moment donné, et bien évidemment de la psychologie du père, de sa maturité émotionnelle et de la relation du couple. C’est à la femme de sentir et de décider par qui elle souhaite être accompagnée. On s’aperçoit aussi de plus en plus de la force des liens qui se créent entre le père et le bébé s’il est partie prenante dès la grossesse, la naissance et pour les soins donnés au bébé.
Ce que dit Swamiji sur la douleur des femmes qui accouchent a quelque chose de choquant. Il répond à Frédéric sur la question de l’anesthésie qu’elle doit être utilisée en cas de douleurs excessives, tout étant une question de cas par cas. Cependant on peut rapprocher cette parole d’autres tout aussi choquantes, par exemple: un enfant qui n’a pas souffert ne peut pas être intelligent, ou encore personne ne meurt s’il ne veut mourir, ou encore on peut tuer quelqu’un avec un regard plein d’amour dans les yeux, ou encore tuer ou être tué est la loi de la nature, ou encore il n’y a rien de bien rien de mal, ou encore personne n’a jamais commis aucune erreur, ou encore il y a toujours un prix à payer etc… Chacune des ces phrases m’a interpellée et m’a personnellement enrichie: chaque fois que j’ai eu l’occasion d’en faire une certaine expérience, j’en suis ressortie apaisée. Si on doit censurer les paroles de Swamiji, il n’en restera pas beaucoup. Il y a une forme de réalité qui n’est pas conforme aux apparences, et en tout cas pas conforme aux valeurs sociales généralement admises, et on peut continuer à décoder le monde de milles manières différentes. Swamiji n’a pas d’enseignement. C’est lui qui le dit. Il s’adresse chaque fois à une personne particulière, en l’occurence à Freddy (comme Frédérick se faisait appeler à l’époque) dont la mère avait souffert le martyre à sa naissance et qui lui était si excessivement attachée.
Cette transcription, plus encore que les autres, met en lumière une contradiction apparente :
– il est affirmé parmi les perpétuateurs du message de Swamiji qu’il n’y a pas un enseignement Swamiji qui s’adresserait à tous, indistinctement. Au contraire, il personnalisait son message en fonction de l’interlocuteur, ne recevant qu’individuellement et ne faisant jamais d’audience collective.
– Pourtant il a des affirmations radicales, très générales, qu’on trouve dans l’entretien, d’autres étant rappelées dans le commentaire de Colette, et qui toutes semblent sans nuance.
Alors, que comprendre ? Le commentaire signé par Massin nuance les situations et met le choix dans les mains du premier concerné. Swamiji appelle lui aussi au bon sens, s’agissant de la souffrance durant l’accouchement par exemple. Mais le lien entre souffrance et amour de la mère pour son enfant pose question : difficile s’établir une corrélation, encore moins une causalité. Peut-être y a-t-il des études faites en ce sens pour étayer cette thèse. En tout état de cause, il a bien des affirmations générales mais qu’il n’adresse qu’à une personne dans un temps, un contexte et une circonstance donnée, laissant le sens prendre forme dans la conscience particulière de celui qui est à l’écoute.
Les affirmations péremptoires sont destinées à créer des failles fécondes et obligent à réfléchir pour comprendre et personnaliser le propos. On pourrait prendre la métaphore de l’eau pour ces affirmations apparemment sans appel : quelle est la forme de l’eau ? C’est le vase. Il est unique.
Mais si l’exercice est parfois périlleux, il ne peut que conduire à plus de conscience, même si on peut avoir une position différente, tant il est certain que Swamiji cherchait à éveiller en chacun sa propre compréhension à la lumière d’une sagesse à l’œuvre. Pour respecter sa pensée, on ne peut donc pas dire « Swamiji l’a dit » mais simplement « Swamiji me l’a dit ».
Comme Massin, la première partie de cet entretien où la question de l’évolution » et de la « révolution » est abordée m’a passionné – et pas seulement en ce qui concerne la naissance. Par contre, moi aussi je reste perplexe concernant certains aspects de cet entretien dans lequel, contrairement à ce que j’ai pu entendre dans les précédents et qui m’ont laissé émerveillé et profondément touché, j’y entends des affirmations généralistes me semblant relever du domaine des opinions auxquelles je n’ai aucune raison de souscrire d’emblée : le rapport entre souffrance de la mère à l’accouchement et amour pour son enfant, la question de la présence du père à l’accouchement (je suis un père ayant assisté à la naissance de ses cinq enfants et j’ai à chaque fois vécu une expérience d’une très haute qualité qui a non seulement renforcé le sentiment d’unité avec mon épouse mais aussi initié très positivement le lien avec chacun de mes enfants). Mais il y a un thème abordé par Frédéric Leboyer que Swâmiji ne cherche pas à approfondir, ce qui m’a laissé sur ma faim : celui de la « dimension érotique » dans sa fonction d’accompagnement. De quoi parle-t-il ici ? Je sais combien l’instant d’une naissance est intense et qu’il ne peut que susciter une intimité entre celle qui est aidée à mettre au monde et celui (ou celle) qui l’accompagne, mais parler « d’érotisme » ici me semble a priori très suspect – du moins si l’on ne m’explique pas l’acception de ce mot et ce qu’il y a derrière pour celui qui l’emploie.
Oui, bien sur, certaines affirmations peuvent paraitre choquantes au premier abord. Swamiji s’adresse en particulier à Frédérick, il ne fait pas de conférence. En mettant ces entretiens tels qu’ils ont été enregistrés sur ce blog, je cours le risque de susciter des incompréhensions, je le sais, d’abord parce que les enregistrements sont des moments d’intimité et d’échange sans témoin. Frédérick raconte quelque chose qui le touche.
Si vous aviez été à la place de Swamiji, vous auriez, dites vous, approfondi la question de la dimension érotique, et vous exigez une explication.
Comme vous le savez le dialogue entre Frédérick et son maitre a duré plusieurs années et ce n’est sûrement pas la seule fois où ces sujets ont été abordés. Il existe trois livres des entretiens de Frédérick avec Swamiji, publiés chez Accarias l’Originel. La réponse à votre question s’y trouve peut-être.
Personnellement j’ai toujours écouté avec attention ce que disait Swamiji même si au départ cela me paraissait relativement étrange et ensuite j’essaie de voir, si cela se vérifie ou non dans les personnes qui m’entourent et je vois si je peux en faire quelque chose ou pas, si cela m’aide ou non à mieux comprendre le monde qui m’entoure. Il est certain que la mère de Frédérick a énormément souffert de son accouchement. Elle était extraordinairement attachée à son fils qui le lui rendait bien. Je ne peux rien ajouter sur le mot que vous trouvez « suspect ». Voici une phrase de Swamiji au sujet de ce qui nous trouble ‘un petit bruit à l’extérieur, un grand bruit à l’intérieur’. Le but est de retrouver ou de trouver un silence intérieur, celui dont Frédéric parle à plusieurs reprises.
Merci pour votre réponse.
Vous avez raison, ceci est un échange intime et à mettre en perspective sur des années de rencontres,. J’avais perdu cette perspective et vous remercie de me la rappeler.
Juste un point : je ne me reconnais pas dans « l’exigence d’une explication ».
Peut-être ma « perplexité » (et donc ce « grand bruit au dedans »), tient au fait que, d’une certaine manière et bien que ne l’ayant pas rencontré en chair et en os, mon existence tourne autour – et je dirai même se fonde – sur cet être humain exceptionnel qu’était Swâmi Prajnânpad et sur ce qu’il a transmis. Merci pour la phrase de Swâmiji concernant ce qui nous trouble, je ne la connaissais pas et c’est encore un cadeau que vous me faites !
Pas ailleurs, et après seconde réflexion, il m’est apparu que cet entretien met aussi en évidence le « one with » de Swâmiji, précisément par ses réponses au niveau de celui qui s’adresse à lui et sans aucun tentative de forcer quoi que ce soit. Ceci, oui, est une leçon pour moi.
Merci encore pour cette diffusion – en dépit des incompréhensions que cela peut susciter – qui donne matière à réflexion, échanges, clarifications.
Bien à vous, DDA